menu
Le sujet de l’entrepreneuriat est également abordé dans le cadre du programme annuel Horizon d’Eneco. Le jeudi 27 mai, Marcia De Wachter, ancienne directrice de la Banque nationale de Belgique, a parlé des défis et des angoisses de l’entrepreneur. Voir l’enregistrement du webinaire (uniquement en néerlandais) ici.
Aujourd’hui, nous rencontrons Davy Kestens, fondateur de Sparkcentral et cofondateur de Cake. Cet entrepreneur en série est particulièrement bien placé pour nous expliquer le parcours d’un véritable entrepreneur. À peine entré dans l’âge adulte, il a développé Sparkcentral, un logiciel de surveillance des conversations sur les réseaux sociaux pour les centres d’appel et les services clientèle des grandes entreprises. Un peu plus tard, il a conquis le marché américain avec son produit. La Silicon Valley lui a permis de découvrir la culture de start-up et l’esprit d’entreprise des Américains. Mais tout cela l’a ramené en Belgique au début de l’année 2017 pour créer Cake, une application bancaire qui promet au consommateur plus de contrôle et de transparence en matière financière. Son histoire montre clairement qu’entreprendre n’est pas ‘the straight way to success’. Non, c’est un trajet jalonné d’essais et d’erreurs, impliquant de tomber, de se remettre en selle et de continuer. Mais rien n’est plus beau que de voir une histoire grandir. Nous donnons la parole à Davy.
DK : « J’ai 32 ans maintenant. Je me suis lancé dans l’entreprise très tôt parce que j’ai toujours été quelqu’un d’entreprenant. Je n’avais pas encore dix ans que j’essayais déjà de monnayer la tonte du gazon pour mes parents. Adolescent, j’ai été un freelance avant même de bien comprendre ce terme. J’ai réalisé des petits projets ici et là, surtout dans un contexte d’approche des problèmes existants et de résolution ou de recherche d’une solution, l’un entraînant l’autre. Je me suis donc rapidement retrouvé avec un projet de grande envergure. J’ai trouvé très stimulant de le voir grandir. Mais bien sûr, j’ai dû me créer tout un espace de liberté pour le réaliser. »
« C’est pourquoi j’ai décidé de poursuivre mes études à Courtrai. C’était à peu près le plus loin que je pouvais aller en tant que Limbourgeois. Mon idée : si je m’installe en kot, j’aurai tout le temps et la liberté nécessaires pour faire mes propres affaires et de ne pas avoir à me justifier. Résultat : mon kot est devenu mon bureau et je ne suis allé que rarement ou pratiquement jamais à l’école supérieure. Je n’ai donc pas vraiment suivi beaucoup de cours. Mon objectif était de créer une entreprise avec tous ces petits projets, pour me garantir un revenu régulier. C’est également à cette époque qu’il y a eu un véritable battage autour de la semaine de quatre heures. Et c’était exactement ce que je voulais (rit). Malheureusement, je n’ai jamais atteint cet objectif, car je suis passé d’un projet à l’autre, de plus en plus gros, se succédant de plus en plus rapidement.
« C’est finalement en 2011-2012 que j’ai obtenu un prototype permettant aux services clientèle de professionnaliser et d’organiser toute leur présence sur les réseaux sociaux. Et soudain, le premier gros client est arrivé : Volkswagen. Pour l’entrepreneur que je suis, cela a impliqué de présenter ma solution et à la mettre en réseau. Encore un grand pas franchi. Mais ce n’était que le début ! En cultivant mon réseau, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit pouvoir m’aider à me lancer en Amérique. Et c’est ce qui s’est passé : j’ai réservé un billet pour San Francisco pour « parler de mon petit projet ». Ma mère trouvait tout cela un peu invraisemblable : aller rencontrer un homme inconnu à l’autre bout du monde à l’âge de 23 ans… Mais je l’ai fait. Cet homme a pensé qu’il serait intéressant de s’impliquer dans mon histoire. Et nous avons donc fondé Sparkcentral aux États-Unis. À notre apogée, nous avions plus de 60 collaborateurs et des clients comme Delta Air Lines, Western Union, Uber et Emirates. »
« Sept ans plus tard, il y a trois ans maintenant, je suis revenu en Belgique. Le fait que mon visa venait d’expirer m’a aidé à prendre cette décision (rit). Mais surtout, j’étais prêt pour quelque chose de complètement nouveau. J’étais et je suis encore trop jeune pour ne rien faire du tout, ou pour devenir directeur ou consultant quelque part. Nous avons donc fondé Cake. »
« Environ trois ans ont passé maintenant, et les choses vont vite avec Cake. Nous sommes 25 personnes dans l’entreprise et sommes toujours à la recherche de collaborateurs supplémentaires. Même si nous sommes très précoces sur le marché, cela procure un sentiment de satisfaction de faire quelque chose de complètement nouveau dans un secteur conservateur comme le marché financier. Un marché qui a connu trop peu d’innovations pendant longtemps. »
DK : « Avec le premier client, Volkswagen, c’était très facile en fait. L’agence de marketing s’était simplement inscrite pour un compte sur notre site web. Et c’est ainsi que tout a commencé. L’aventure américaine était beaucoup plus intimidante, évidemment. Nous avions un produit qui n’avait pas encore fait ses preuves. En plus de cela, nous avons dû mettre en place une équipe sur un marché que je ne connaissais pas et dans une culture que je ne comprenais pas encore. Aux États-Unis, bien sûr, tout est ‘stunning and amazing’. Mais il s’est avéré que ce n’était pas si évident : nous avons dû déployer beaucoup d’efforts pour obtenir ce premier client. Pendant presque un an, nous n’avons eu aucun revenu. Chaque jour, nous essayions de faire ouvrir les portes. Quelques mois avant de boire la tasse, nous avons décroché un contrat avec Delta Air Lines. Avec un produit qui n’était pas encore terminé et qui devait être opérationnel trois mois plus tard. En comparaison, avec Volkswagen cela a été une partie de plaisir. »
DK : « Je pense que l’incertitude fait partie de l’état d’esprit d’une start-up. Au départ, il y a beaucoup plus d’argent qui sort que d’argent qui rentre. Il existe également une grande différence entre une entreprise ‘qui débute’ et une véritable ‘start-up’. Avec une entreprise qui débute, on se développe progressivement avec ses clients. Avec une start-up, on se retrouve dès le premier jour en négatif de centaines de milliers, parfois de millions, pour commencer ensuite à développer une valeur exponentielle. Cette poussée de croissance attendue doit alors, pour ainsi dire, compenser les dommages antérieurs. »
« Mais il va sans dire que flirter avec le chiffre zéro sur son compte en banque est une source de stress. Mais en même temps, cela me motive aussi. Je pense que beaucoup de gens connaissent la même chose avec les délais. La pression que je subis me motive plus qu’elle ne me stresse. »
DK : « Je trouve qu’il est difficile de répondre à cette question. Je pense qu’en Europe, en général, le projet doit être presque à moitié terminé avant que les investisseurs soient prêts à prendre un risque. En Amérique, ils manifestent de l’intérêt dès le moment où il y a des signes ou des signaux indiquant que « ça pourrait être intéressant ». Alors les gens veulent soutenir et s’embarquer immédiatement dans le projet. Si nous avions créé Cake aux États-Unis aujourd’hui, nous aurions levé plus de 50 millions d’euros de capitaux. Ici, on remarque que les gens demandent des éléments beaucoup plus concrets et des preuves avant d’exprimer un quelconque intérêt. Alors bien sûr, les risques sont moindres. »
« Ce que j’apprécie en Europe, c’est l’autre côté de la médaille. Ici, les gens travaillent beaucoup plus rapidement sur un modèle commercial efficace et rentable. On voit souvent en Amérique que les investissements sont faits dans des idées et des concepts qui sont absurdes, en fait. Ainsi, contrairement à ce qui se passe en Amérique, où l’on fait beaucoup de tentatives et où l’on jette beaucoup d’argent par les fenêtres, nous, en Europe, sommes beaucoup plus prudents et pragmatiques. Nous avons beaucoup moins de start-up en Europe qui deviennent des entreprises milliardaires, simplement parce qu’elles sont créées dans un état d’esprit différent. »
DK : « C’est difficile à dire. C’est un peu comme un mouvement artistique. Au début, tout le monde se précipite vers ‘the place to be’ et ensuite, cela devient une sorte de banalité. La Silicon Valley était le nouveau centre du monde en termes de technologie numérique, de l’innovation, etc. Et donc, en une fois, tout le monde a voulu y aller, moi y compris. Alors bien sûr, cela a automatiquement attiré beaucoup de talents. Chaque ville du monde essaie maintenant d’imiter sa propre Valley. Cela signifie que le talent est disponible partout maintenant. C’est un peu dommage pour la Silicon Valley, bien sûr, car elle est devenue une région chère et l’avantage significatif de la localisation est ainsi dilué. Sans parler évidemment de l’essor phénoménal du travail à distance. Le talent est désormais véritablement disponible partout. Certes, dans la Valley, on pouvait lever trois ou quatre fois plus de capitaux, mais cela coûte aussi trois ou quatre fois plus cher d’y exploiter son entreprise. »
« Je pense que les gens veulent surtout travailler sur quelque chose qui a un sens, qui leur procure une satisfaction. Sans oublier leurs besoins quotidiens tels que le niveau financier, le confort, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, etc. »
« Nous tenons compte de l’aspect pratique. Chez Cake, par exemple, nous travaillons toujours avec des personnes vivant dans le même fuseau horaire. Nous n’avons pas de bureaux physiques. Et les collaborateurs qui aiment parfois travailler dans un bureau le font dans un espace de coworking. Nous ne devons pas nécessairement nous asseoir ensemble physiquement pour bien fonctionner. Ce qu’il faut surtout, c’est une transparence totale, tant externe qu’interne. Dans notre entreprise, tout le monde sait toujours ce qu’il y a sur les comptes, ce que nous sommes en train de faire, à tout moment. Nous en faisons état et en parlons ouvertement toutes les deux semaines. Bien sûr, nous sommes encore un petit groupe et la prise de l’ownership est un peu plus évidente chez nous. Mais nous y œuvrons aussi tous les jours. »
« Travailler sur quelque chose qui a un impact a aussi un impact sur nous-mêmes. C’est ce qui m’a manqué à Sparkcentral à terme : un objectif permettant d’avoir un impact. Le logiciel de service à la clientèle est profondément caché dans les processus d’une organisation. L’efficacité peut être améliorée de quelques points de pourcentage, mais c’est tout. C’est bien, mais ce n’est pas un sujet donc on parle en famille, à la table de la cuisine. Je me souviens quand on a eu Netflix comme client. Le jour de l’onboarding, nous étions au siège social à Redmond. La série House of Cards venait d’être lancée et on pouvait le sentir dans toute l’entreprise : l’excitement. Toute l’entreprise était en émoi. Tout le monde en parlait avec enthousiasme. C’était trop cool. D’autant plus en sachant que ces collaborateurs transmettent le même enthousiasme à leurs amis et à leur famille. »
« Nous avons un très grand groupe d’utilisateurs chez Cake, de vrais fans. Ils parlent constamment de nous sur les réseaux sociaux et les forums, à leurs amis et à leur famille et nous n’avons pratiquement pas besoin de faire de la publicité. Cela se fait automatiquement et c’est génial. Nos collaborateurs vivent la même chose : ils se font par exemple aborder dans le train parce que leur ordinateur portable arbore un autocollant Cake. C’est très motivant, évidemment, de faire quelque chose qui enthousiasme les autres, qui les intéresse. »
DK : « Ma plus grosse erreur… c’est d’avoir travaillé comme un dingue en Amérique. Cela s’est développé de manière un peu organique. Quand je travaillais trop dur sur quelque chose, j’avais quelqu’un dans l’entreprise pour prendre le relais. Mais cette entreprise a continué à se développer. Seulement, je n’avais pas l’expérience dans le développement d’entreprise. J’ai promu beaucoup trop de mauvaises personnes pour de mauvaises raisons, parce que je n’étais pas moi-même intéressé par la politique et l’organisation. Beaucoup d’entre eux étaient bons dans leur travail, mais n’avaient absolument aucune compétence en matière de leadership. Si quelque chose tombait à l’eau ou se passait mal sur le plan opérationnel, j’en prenais la responsabilité et j’essayais de résoudre le problème. C’est ainsi que j’ai enchaîné les épisodes de stress. »
« J’ai changé cela maintenant chez Cake : nous sommes six fondateurs solides, mais je n’ai pratiquement aucun rôle opérationnel ici. Je m’occupe des plans stratégiques à long terme, des relations avec les investisseurs, des relations publiques et je suis l’enseigne en quelque sorte. Je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemble notre marketing au quotidien, je ne sais pas quels article de blog sera publié la semaine prochaine, ni quel développement de fonction est en cours, et où. Pas la moindre idée. Ce que je sais, c’est que tout cela est bien géré et c’est très bien ainsi. Je suis beaucoup plus préoccupé par la construction de la machine que par le simple fait de vouloir la faire fonctionner. C’est la leçon la plus importante que j’ai tirée de l’aventure américaine. »
« Les personnes qui créent leur propre entreprise ne sont pas forcément celles qui gèrent bien une entreprise sur le plan opérationnel. En fait, chez nous, cela fait partie intégrante de nos valeurs d’entreprise. Quand on pose à quelqu’un la question « comment allez-vous ? », tout le monde répond « boulot boulot boulot». Ce n’est vraiment pas bien : cela veut dire que vous ne faites ce qu’il faudrait. »
DK : « Le corona a un impact sur tout le monde. J’en ai ras-le-bol, moi aussi. En tant qu’entreprise, nous ne pouvons pas y faire grand-chose. Et oui, on peut organiser ces sessions à moitié psychologiques, mais au final, ce n’est qu’un fait social. Nous essayons de suivre le mouvement. Par exemple, nous n’aimons pas les e-mails internes. Nous privilégions vraiment la communication directe : envoyez un message de chat à vos collègues, appelez-les. Soyez actif, pas passif. Nous utilisons un outil de communication et de collaboration en temps réel où tout est regroupé par thème ou par canal. Tout est suivi, tout peut être analysé, il y a beaucoup plus de lecture, de documentation et de retour d’information qu’avec n’importe quel autre outil. De cette façon, tout le monde est informé de ce qui se passe. »
« Nous faisons aussi des choses pour rapprocher les gens. Par exemple, les équipes commencent chaque matin par un videocall stand-up. Certains de nos programmeurs travaillent avec un appel zoom ouvert en permanence pour rester en communication constante avec leurs collègues. Si vous souhaitez demander ou savoir quelque chose, c’est via cet appel. Rien ne se passe ? C’est une bonne chose aussi. Nous organisons toutes les deux semaines une réunion à laquelle toute l’équipe participe et où nous communiquons de manière très transparente. Combien d’argent y a-t-il sur le compte, que faisons-nous, combien d’utilisateurs y a-t-il et d’où vient cette croissance, quel est le feedback principal que nous avons reçu ces dernières semaines, etc. ? Ce n’est pas parce que nous n’avons pas de bureau que nous ne sommes pas connectés. »
Le jeudi 27 mai, Marcia De Wachter, ancienne directrice de la Banque nationale de Belgique, a parlé des défis et des angoisses de l’entrepreneur. Voir l’enregistrement du webinaire (uniquement en néerlandais) ici.